Directeur d’un Bureau d’Etudes Architecture spécialisé dans l’aménagement d’espaces professionnels je suis confronté quotidiennement à cette question... « Par mes choix de conception architecturale comment puis-je rendre l’expérience utilisateur la plus épanouissante et durable possible ? »
À mesure que l’économie et le monde moderne deviennent de plus en plus interconnectés sur le plan technologique (réseau sociaux, smartphone et autres applications en tout genres), un nouveau phénomène est apparu: un nombre croissant de personnes se sentent isolées et déconnectées. Il est vrai que la technologie nous relie, mais elle nous divise également. Je le vois en pause café, la génération «connectée» est particulièrement touchée par ce phénomène d’exclusion, d'autant plus que, connectée à un écran en permanence elle oublie et délaisse les avantages ancestraux de l’inférence non dite du langage du corps dans les interactions face à face.
Des millions d’années d’évolution balayées d’un revers de main... Nos cerveaux ont à peine eu le temps d’intégrer les préceptes du mariage que Tinder a débarqué... -_- Il est clair que notre façon de vivre et de travailler a radicalement changé au cours des dernières années. Nos grands-parents voir nos parents avaient un emploi à vie, avec des objectifs et des opportunités clairement définis, une heure de pointe et de repos et un ensemble de règles régissant le fonctionnement du lieu de travail. La nouvelle génération d’employés entre dans un monde professionnel où rien de tout cela n’est vrai, notre modèle social et économique mute et cela de façon exponentielle. Il me semble que la seule question à se poser pour déterminer le Future of Workplace est: Comment souhaitons nous interagir avec nos collègues de travail dans l’avenir et limiter la divergence entre connectivité technologique et connectivité sociale.
Les êtres humains sont sociaux par nature, grâce à la technologie moderne et aux méthodes de travail numériques, nous sommes plus connectés que jamais, mais à quel prix? Dans son rapport sur les risques dans le monde, publié en 2019, le « Forum économique mondial » cite la technologie comme une cause majeure de solitude, d’isolement social et de diminution de l’empathie, avec des conséquences très diverses pour la société…
C’est encore plus le cas dans le contexte du travail. Nous sommes dans une ère sans précédent de changement impulsé par la technologie. Lors de la quatrième révolution industrielle, les besoins des entreprises évoluent rapidement, alors que les entreprises cherchent à savoir comment elles peuvent prospérer dans l'économie numérique. Les employeurs ont besoin de plus d'agilité et de flexibilité de la part de leurs employés, de leurs systèmes et de leurs processus pour faire face a la concurrence. Les équipes de travail se forment rapidement, se doivent de fonctionner efficacement et se désintègre aussitôt. Le travail physique et virtuel doit être combiné de manière transparente. La messagerie électronique, la messagerie instantanée et la connectivité vidéo globale ont amélioré la productivité, mais elles ont également diminué le temps de réflexion et de prise de décision des collaborateurs, ironiquement, en raison de la surcharge d'informations!
Cela a également entraîné un changement dans la manière dont les entreprises utilisent l'espace physique. L'essor du commerce électronique, des réseaux et médias sociaux, du travail en ligne et de l'automatisation ont créé des opportunités économiques, mais ont également réduit les opportunités de commerce physique et d'interaction sociale sur lesquelles nos communautés ont été construites au cours de l'histoire. Nous avons tous constaté cet impact sur la grande rue, où des locaux vides définissent trop souvent ce qui était autrefois le centre de la ville.
Le travail est donc de plus en plus une Activité et non un lieu. Et si tel est le cas, nous devons déterminer si le «Bureau» tel qu’il existe aujourd’hui doit continuer d’exister. Que doivent considérer les entreprises pour créer un espace de travail propice à la productivité et attirant les talents? Car l’espace de travail est de plus en plus LE facteur clé dans le choix d'une entreprise. Étant donné le temps que nous passons tous au travail, personne ne veut passer ce temps dans un lieu inconfortable, difficile d'accès et qui nuit à sa capacité de vivre pleinement sa vie personnelle.
Au cours des dernières décennies, nous avons déjà assisté à plusieurs transformations des espaces de travail : déménagement du centre-ville vers le parc d’affaires situé à l’extérieur de la ville pour économiser de l’immobilier; des bureaux type open space « cages à lapins », des espaces faussement collaboratifs, de la nourriture gratuite, des toboggans et autres tentatives. Mais les espaces ouverts sont bruyants et les gens aiment pouvoir «s'approprier» leur espace. Le toboggan est un gadget marketing et non un avantage pour le collaborateur. De plus le parc d’affaires situé à l’extérieur de la ville n’est pas nécessairement le lieu où se trouvent les talents... La première chose à laquelle les entreprises doivent penser est donc de savoir qui elles souhaitent recruter et pour quelles raisons. La diversité des talents est un objectif pour à peu près toutes les organisations aujourd'hui, afin de permettre la diversité des idées, de créer de l'innovation et de conduire au succès de l'entreprise. Et le talent diversifié a des besoins différents.
La place de parking n’intéresse pas forcément le jeune talents citadin qui part du travail à 20h00 et qui se déplace en trottinette, en revanche le talent déjà parent apprécie la place de parking et aime récupérer son enfant à la sortie de l’école. Le jeune talent peut travailler sur une tablette perché sur un hamac tandis que le talent senior affectionne le bench traditionnel...
Donc, peut-être que la principale chose à retenir est que la taille et le modèle unique ne conviennent pas à tous. Et la flexibilité est peut être la clé du lieu de travail du futur. La flexibilité passe par le management et signifie également des horaires flexibles, la mobilité et la confiance. Pourquoi commencer les réunions à 9 heures, ce qui nécessite un trajet de 2 heures en heure de pointe, alors que vous pourriez commencer une demi-heure plus tard? Pourquoi insister pour que toute l'équipe soit au bureau alors que le travail peut être effectué aussi facilement à la maison? Mais l’on doit également créer les possibilités de réunir l’équipe face à face. L’Humain est un animal social. Une rencontre en personne reste le meilleur moyen de faire connaissance avec quelqu'un et peut faire des merveilles pour la productivité.
Dans l’avenir du travail, avons-nous encore besoin d’un environnement de travail à quatre murs, ou pouvons-nous exploiter les capacités des personnes où qu’elles se trouvent? Il semblerait que nous ayons besoin d’un peu des deux. Nous avons besoin d'un espace de travail qui permette la collaboration, facilite la connectivité, offre des espaces calmes aux côtés d’espaces divertissants, des pôles d'interaction et offre également des services facilitant le travail des employés. Et ce n’est pas un bureau traditionnel qui nous permettra de mettre à disposition toutes ces demandes. L'essor de l'espace de travail collaboratif au cours des dernières années le montre, nous devons dissoudre l'idée d'un bureau et créer un espace où les affaires peuvent être menées, où les employés peuvent s'épanouir.
Il doit être flexible, entièrement technique et technologique et compatible avec le style de vie trépidant d'aujourd’hui. Mais il a toujours besoin des fonctions de support traditionnelles - département informatique, ressources humaines, juridique.
Le problème est que, si l’on supprime le bureau, qu'est-ce que cela signifie pour la société dans son ensemble? «Le bureau» est au centre de la construction de la société aujourd’hui - des routes y mènent, des gens y voyagent, des industries de services allant de l’alimentation au parking se développent tout autour. Et qu'adviendra-t-il des zones d'activités, des centres-villes, des infrastructures de transport, des services d'assistance, dans la ville de demain? Encore une fois, les gens sont des animaux sociaux et, tant que la technologie n’arrivera pas au point où l’interaction en face à face ne peut pas être distinguée de l’interaction via la technologie, les affaires seront potentiellement moins riches.
Reconnaissant cette divergence entre connectivité technologique et connectivité sociale, il est possible de changer cette dynamique en développant des espaces de travail inclusifs de taille humaine et qui reconnectent les personnes par l’utilisation de ces espaces. Une réflexion holistique sur l’activation des espaces communautaires, de nouveaux modèles de propriété et d’utilisation, des applications de la technologie et un objectif commun plus large pourrait donner lieu à de nouveaux concepts du futur espace de travail.
En conclusion, le futur espace de travail sera dynamique, biophilique, agile et innovant. Mais il sera également construit pour répondre simultanément à mes besoins ceux de ma collègue et aux vôtres. Ce n’est qu’alors que les entreprises pourront tirer le meilleur parti de leurs collaborateurs, tout en permettant leurs épanouissement personnel. Un cercle vertueux qui nous mènera à coup sûr vers la prochaine mutation des espaces de travail.
Romain CARRETERO